Je peins ces femmes, toujours avec un col blanc, petit et droit, long et souple, un col blanc, comme ces hommes qu’on a surnommés ainsi pour leur engagement dans la société. Ça leur donne une prestance, quelque chose qui impose, qui s’impose, qui dit, qui soutient les regards, qui parle et affirme, un pouvoir, une droiture, en elles-mêmes, envers, contre, pour, une droiture toujours. Je suis une femme, ma féminité m’interpelle, mon style, mes complexes, ma façon d’aller dans la vie, d’enfanter, d’être, de devenir, de vivre, de créer, et puis les femmes autour de moi, ma mère, qui écrivait beaucoup, avec ce genre d’évidence dans sa plume, comme si les mots lui étaient dictés, de la presque spiritualité, et puis ma soeur, passée par la maladie, les femmes autour de moi, je les ai toujours regardées avec cet oeil un peu fasciné, la démarche, l’accomplissement, la lutte, la beauté, je trouve qu’il n’y a rien de plus beau, la douceur, la force, la sensibilité, les carcans de la société, la liberté, mes femmes peintes ont l’âme qui s’évade, d’un corps parfois trop serré, ça s’évapore, de l’évanescence dans la dureté, du noir au rose, j’aime jouer avec les sens, les cheveux sont comme une barbe à papa, un nuage, une brume, un mélange de réalisme et d’ivresse, de poésie, obscurité et tendresse. Souvent les femmes que je peins arrivent de mes rêves, c’est profond, ça monte en moi, les couleurs apparaissent, ça prend forme, ça bouge, ça danse, et ça s’ancre.
J’ai des souvenirs d’enfance et de famille qui me viennent quand j’essaie de définir ce que je suis et ce que je fais aujourd’hui. Mon père, artisan metallier, l’amour pour ce travail manuel, méticuleux, minutieux, faire de ses mains, le bruit des machines, l’odeur du fer, ça marche. Et ma mère, comme déjà dit, peut-être plus spirituelle, intellectuelle, l’écriture, ah ces souvenirs d’ado, le dictionnaire de ma grand-mère aux pages cornées, fumées, qu’on feuilletait pendant des heures, en buvant du crémant de Limoux, en grignotant du pain trempé dans du vin rouge, dans du sucre, faire travailler l’esprit, cerner les mots, le sens. Ça me tourmentait de voir mes parents démunis face à la maladie de ma soeur, c’était beaucoup de violence. Depuis toute jeune, j’ai pris cette distance, le recul face à la vie, à la mort, à tout ce qui passait, assez introvertie, pas toujours acceptée par les autres, ça marque, et ça fait passer de l’autre côté, celui où l’on se fait observateur, observateur de tout, des paysages, du monde, du grouillement de la vie, du vide, du silence, des gens, leurs attitudes, gestes, tics, tocs, l’humain, et puis toutes ces choses assez imperceptibles quand on est trop dans le flot, j’avais l’impression que je les ressentais. Réfugiée dans le dessin et la peinture, j’y ai passé du temps. J’ai su que c’était ma voie lorsque je suis entrée dans un lycée d’Arts Appliqués au fin fond du Cantal. Là j’ai éclos. Comme une fleur. Je me suis ouverte. Comme une bulle qui éclate et révèle tout ce qu’il y a à l’intérieur. J’ai fait des rencontres, j’ai trouvé une place, ma place, on m’accepte, m’intègre, j’intéresse, je m’intéresse, je prends part enfin, m’ancre dans un univers dans lequel je me sens bien, je grandis, mûris, je m’épanouis, on me sourit, moi aussi, je souris, et ça me nourrit tout ça, dans l’art, par l’art, je suis nourrie, et c’est vraiment beau. J’ai poursuivi mes études dans l’art à Paris, Diplôme des Métiers d’Art Fresque Murale. Ma route continue de se tracer, la technique, je découvre, connaissance, encore des rencontres marquantes, toutes teintées de passion, de fièvre, d’envie de dire et de créer, ça me libère beaucoup, je donne, on me donne, c’est un embrasement en moi.
Souvent la puissance de l’Art est si forte, presque impressionnante, que l’on craint parfois de s’y jeter corps et âme, aussi affecté des avis et visions des autres autour de soi, du monde et de la réalité, trop terre à terre qui viennent lentement éteindre les rêves et fantasmes. Mais pas tant que ça. Je n’étais pas prête, sortie de ces études, à me lancer vraiment, comme une artiste. Il fallait que j’apprenne encore de la vie, que je construise encore mon expérience, que je solidifie et densifie tout ce qu’il y avait à l’intérieur de moi. Je suis devenue enseignante en art. La confrontation avec les élèves, leurs regards, ça m’a boulversé, nourrie encore, quel théâtre…
Ça fait dix ans. Et j’ai créé ce cocon qui est le mien. Mes envies, désirs, passions, la peinture comme acte de libération, entre caleçons et biberons, car mon cocon c’est aussi ma famille, ce quotidien empreint de mon énergie, qui m’a amené jusqu’ici.
Je suis devenue cette femme. Que je peins au travers de tous ces visages. Lorsqu’une galeriste à Anglet a accepté de m’exposer, ça m’a chamboulé, ça m’a ému, que je puisse toucher, que mon travail parle aux autres, ce terrain intime que finalement j’avais réussi à créer entre moi et moi-même qui devenait un dialogue, entre la société, les spectateurs, et elles, et moi. J’ai envie d’aller plus loin, encore plus loin, tous les jours, je me sens enivrée de la vie, ça m’anime, complètement comme un feu qui flambe, je peins, ça me prend comme une envie de pisser, c’est ardent ce désir d’explorer et de s’exprimer, de dessiner, de trouver la technique qui incarnera le message dont j’ai a peine conscience, toujours en quête, toujours, courir après l’euphorie, le sentiment, le frisson, y a un peu d’adrénaline, faire avec ses mains, son corps, ses sens, pour extraire la substance, la texture, qu’il y a à l’intérieur de moi. C’est un délicieux mélange entre tout ce qui se passe dans le monde, dans la vie, dans ma vie, mon quotidien, mon entourage, et cet immense chose dans mon corps et dans ma tête, faite de rêves, de songes, d’inconscient, ce vertige, total, qui bouge tout le temps, qui va, qui vient, qui se meut, et qui sort, qui doit sortir.