À regarder de loin cette œuvre monumentale, c’est d’abord un patchwork bariolé
qui apparaît, un tableau à entrées multiples. On s’approche : c’est une suite véronèsienne,
un alliage de saynètes de la vie dans la cité, où se côtoient l’espièglerie, la prestance,
la feinte, le jeu, la mobilité. Réalité et fantasmagorie, politique et chaos se font face. On
pense à la musique psychédélique, à Frank Zappa, au burlesque américain ou au free jazz,
comme si Bosch avait peint dans les années 1960-70.
Si l’on avait oublié le titre, le pavillon d’oreille géant en haut à droite nous a ramené
au son. Il évoque la peinture de Gérard Garoust, ses oreilles déformées, distordues,
hypertrophiées, grotesques. Serait-ce l’oreille de Van Gogh retrouvée ? Comme un temps
retrouvé... Ou bien le réceptacle où tout le bruit du monde vient s’infiltrer de gré ou de
force ? Avoir une oreille paisible est un enjeu important de l’intimité aujourd’hui. On voit
souvent des haut-parleurs sur les tableaux de Lautum : bruits amplifiés, annonce d’un
cirque, sons naturels passés dans un filtre artificiel...
On peut donc plonger dans l’œuvre comme dans une boîte acoustique, où l’oxygène est
rare. Pas de volonté de beauté esthétique. La beauté est dans ce qui est montré, incarné,
ce qui émane et sourd de l’intérieur. S’il s’agit de progresser vers un sens, alors le parapluie
du dernier panneau, comme un bouclier pour se prémunir d’un effondrement, incarne la
dimension protectrice, la mesure de la démesure, le point de fuite, celui que l’on cherche
où que l’on soit. Lautum n’est pas ici un portraitiste à proprement parler, mais il nous montre
une série de facettes où apparaissent, en reflet, des fragments de l’être. Les visages,
arrivés à un état de fusion de la matière, s’arrêtent en statues de pierre et d’expression : une
manière de nous regarder nous-mêmes, humains, comme nous faisons avec les poissons
dans un aquarium.
Détail du format : dodécaptyque 12 X ( 229 X 191 ) cm - sans intervalle