Huile sur toile 130x162 cm
Trois personnages, un mazzocchio et un drapé (Torculo : P. Della Francesca)
Le mazzocchio est une coiffe de la renaissance
que portaient les seigneurs Florentins. Il fut représenté à plusieurs
reprises par P. Uccello (« Bataille de San Romano » et « Scènes de la vie de Noé »).
L’artiste contemporain Jean Sabrier s’est également penché sur la
singularité de cet objet à la géométrie parfaite et énigmatique. Il a
été au centre de son travail pendant de nombreuses années. Quel sens
donner à cette figure d’un point de vue artistique et philosophique ?
Le mazzocchio est un tore qui rassemble en sa forme elliptique un
espace vide, une vacuité, soit un seuil, un lieu qui pourrait être celui
de la métamorphose. Ce n’est en réalité pas seulement un lieu car il
préfigure un mouvement de disparition qui opère précisément en cet
espace bordé de figures parallélépipédiques, des carrés agencés dans
l’espace. Ce trou bordé est donc le lieu même de la présence
évanescente, celui du mouvement constitutif de la sublimation (cf
« Cristal liquide », Jean Sabrier). En son sein opère « l’acte en soi »
de création, acte mythique qui ne peut être, soumis aux règles du lieu
et du temps, qu’une expérience de la perte. Comment ne pas constater que
tout acte de création réussi est un acte perdu, une ellipse, qui
produit dans sa suite la circulation d’une aspiration vitale? Son
produit, parfois un tableau, n’en est que le reste, la présence
atténuée, en suspension, d’une image en attente de regardeurs pour en
poursuivre le mouvement narratif. Mais cette figure torique rassemble
aussi en son sein une force de persuasion qui, usant de la mimesis,
condense à elle seule un sentiment de perspective. Elle est la
perspective en soi, en tant que représentant signifiant ayant une haute
valeur symbolique. On pourrait lui trouver quelques affinités avec la
figure du père, celle qui, une fois inscrite dans le langage, donne à
son tour des perspectives, entretenant le ronron vital et créatif de la
circulation imprévisible des mots pour dire et se dire, les mots pour
être, être inscrit dans une narration singulière. Nous restons donc dans
la fiction. Certains parleront de subjectivité. Pourquoi pas, il est
bien question du sujet de l’inconscient dans cette remarque.
Le seuil peut alors prendre à son tour d’autres perspectives,
d’autres significations, d’autres fonctions, tant qu’il demeure le lieu
où la métamorphose concrétise un mouvement de transformation et de
création. Il peut être le passage entre générations, entre pères et fils
par exemple, un passage qui ne saurait se soustraire à l’épreuve de la
relation à l’autre, fut-elle filiale.