Quel que soit le support, je tente d’atteindre ce qu’il y a derrière la matière. Plus loin de façon frontale et plus haut vers l’inaccessible. C'est le point de départ si je ne me laisse pas emporter par le seul plaisir créatif.
Pour m’en approcher, j'essaie d’aller derrière l’écran, de voir ce qui est caché, quitte à le créer pour ensuite le troubler. D'abord, n’importe quel support sur lequel on travaille est un écran.
Je peux le choisir ou le faire épais à trouer et traverser comme l’étaient mes travaux (2000) sur les écorces, matières de ciment, de bois et mixtes qu’il me plaisait de griffer et trouer comme pour en voir le coeur.
Je peux le choisir délicat comme un voile à lever ou qui laisserait deviner ce qui se cache derrière, tel un papier translucide sur lequel je peux travailler au recto comme au verso, en surface ou au cœur de l’infime matière qui boit le médium comme l’encre.
Lorsque j’utilise le papier translucide, écran plus fin, j’ai l’impression que le Graal n’est pas loin. Il faut encore le traverser ou y voir, deviner le verso. J’y perçois déjà une autre dimension à l’arrière. Le recto se mélange au verso, le médium fait partie du support, le support fait partie de la trace. Dessus, dedans, derrière. L’écran et mon intervention se mélangent en profondeur même si la surface est plus impactée.
Si je peins sur toile, la façon de crever le support serait de l’entamer par des trous et des entailles, ce que je fais parfois. D’autres l’ont fait comme Fontana et Miro. La plupart du temps, je griffe légèrement ou j’entame la peinture avec des outils comme un acte délicat.
Parfois, que ce soit sur toile, papier léger ou simple support, je travaille avec plus de vigueur, ou bien je mélange trace légère et geste appuyé jouant alors davantage sur l’idée de la tache et du vide. Naturellement, le geste est comme un chemin vers un bord du cadre que je ne dépasse pas pour peut-être mieux conserver l’étape gagnée, la stabiliser.
Mon langage ressemble à une écriture. Traces dansantes, infimes, légères, aériennes, subtiles. J’essaie de laisser s’exprimer un "ailleurs" bien plus fort que moi. J’aime la surprise et la reprise, le fait d’effacer quand c’est possible ou de raturer, de corriger, de superposer. Les travaux les plus intéressants sont ceux qui présentent une difficulté et qu’il faut manipuler et triturer, ou bien les travaux minimalistes où le geste et le vide ont trouvé leur place rapidement ;
Quoi que je fasse, il y a des limites matérielles à l’acte que je pose. Le support, le cadre, le format… Seul le vide tel qu’Yves Klein l’avait compris pourrait m’en affranchir. Cette démarche spirituelle est personnelle et s’exprime intimement reliée au vide rempli d’énergie. Le travail artistique est lui, un complément ou une matérialisation de ma recherche individuelle et personnelle. Le vide est respiration, peut-être ciel, absolu, infini. Ce vide n’est pas vide.
Inviter le regardeur à y voir de près c’est l’inviter à se connecter à une intimité subtile.
Cela demande une introspection, une démarche pour regarder l’œuvre de près, car telle est mon invitation même si le geste est parfois large et ample. J'aime que le regardeur voit comme je regarde.
C’est une invitation à la spiritualité et à l’intimisme, en opposition à une société superficielle et d’apparence, où tant d’images nous envahissent.