J’ai commencé à peindre en 1988,
à l’âge de 15 ans, en utilisant la peinture à l’huile comme médium. Depuis, je
n’ai jamais abandonné ce matériau dont les caractéristiques techniques ouvrent
d’immenses perspectives esthétiques. L’artiste Jean Sabrier, chez qui j'ai vécu
de nombreuses années, auteur notamment du "cristal liquide", est la
figure inaugurale de mon processus créatif. C'est très logiquement, plongé dans
l'intimité de cet artiste, que mon attention s'est d'abord portée sur la
peinture de la Renaissance italienne ; Piero de la Francesca, Masaccio, Uccello...
et l’œuvre de Marcel Duchamp. Plus tard, Caravage deviendra une source
d'inspiration qui m'engagera vers des détournements anachroniques en objets («
Bacchus Malade », « Hommelette aux œufs »), ou en installation (Érotorelief).
Mon style est figuratif, mais
produire une simple copie du monde ne m’intéresse pas. J’ai donc recours à la ruse
de la mimésis pour représenter de manière figurative ce qui n’est pas réel et
relève plutôt de pensées sous forme de visions.
Aujourd'hui, mon travail est centré
sur la question du "Seuil" comme lieu de l'acte de création en tant
que geste faisant lien entre le dedans et le dehors, le monde intérieur du
peintre et celui du regardeur. La question du dévoilement et celle de l'énigme
y sont donc centrales. Pour moi, comme l’a avancé Leon Batista Alberti (1436,
De Pictura) le tableau est une fenêtre, une ouverture sur le monde, un mode
intérieur aussi. J’avance que l’art rétinien n’est pas mort, contrairement à ce
qu’a annoncé Marcel Duchamp. Tout autant qu’un ready made, Il peut être
« matière grise ». En convoquant sa trouvaille de « l’inframince », je
reconnais ma dette envers l’histoire de l’art et mes influences car une création
opère, littéralement, en micro variations de la représentation. Ces petits
"pas de sens" sont singuliers et gîtent dans un espace étroit, un seuil
produisant différences et répétitions. Il n'est pas question de rupture mais
d'une continuité évolutive avec ce que j'aime. La ténuité est donc, dans mon
travail de peintre, le motif "en-soi" de la création, une création en
mouvement, mue par une pulsion de vie « tourbillonnante ». À bien y réfléchir,
l’image, entrelac simultané entre être et non être de ce qu’elle représente (JC
Bailly), produit également un effet de seuil. Affleure avec elle un espace ténu
entre le geste de l'artiste et sa représentation, entre l'intention
inconsciente (Ogni dipintore dipinge se) du peintre et le regardeur. Ce dernier
est appelé à faire une expérience de l'imperceptible en cultivant la lenteur et
le retard de sa perception, une expérience du seuil comme représentation d'un
entre-deux temporel éphémère.
Mes toiles sont d'abord et avant
tout les représentations de "visions" et d'un monde intérieur qui
émerge au fil de mes lectures, de mes écrits et de mes réflexions, notamment
autour de la question de l'inconscient et de ses enjeux dans la relation à
l’autre mais également au sein d’un processus créatif. Il est parfois
surprenant de voir émerger des images issues de pensées complexes, qu'elles ont
l'art de concentrer à l'essentiel et de simplifier. Mon travail de peintre ne
peut donc faire l'économie de l'épreuve initiale des mots et du langage qui les
structure. J'accorde par ailleurs une grande importance à l'aspect manuel de la
réalisation picturale et me sentir comme un artisan cherchant en permanence à
améliorer son geste me procure une grande satisfaction. Pour autant, j’estime
que le savoir-faire doit constituer un moyen d’accéder à un certain oubli de
soi dans l’acte de création et permettant la survenue de surprises picturales
imprévues.
Jean-François Ferbos
I started painting in 1988, at the age of 15,
using oil paint as my medium. Since then, I have never ceased to work with this
material whose technical characteristics open up immense aesthetic
perspectives. The artist Jean Sabrier, with whom I lived for many years, author
among other works, of the "Cristal liquide", is the inaugural figure
in my creative process. Immersed in the intimacy of this artist, it is quite
logical that my attention was first drawn to Italian Renaissance painting;
Piero de la Francesca, Masaccio, Uccello and later the work of Marcel Duchamp. Caravaggio
has also become a source of inspiration that has led me to anachronistic
diversions into objects ("Bacchus Malade", "Hommelette aux
œufs"), or into installations (Erotorelief).
My style is figurative, but I am not interested
in producing a simple copy of the world. I therefore use the trick of mimesis
to represent figuratively what is not real and tends towards thoughts in the
form of visions. It is not a matter of rupture but of an evolutionary
continuity with what I like. In my work as a painter, tenuity is therefore the
"in-itself" motif of creation, a creation in motion, driven by a
"swirling" life drive. If we think about it, the image, a
simultaneous interlace between being and non-being of what it represents (JC
Bailly), also produces a threshold effect. It creates a tenuous space between
the artist's gesture and its representation, between the unconscious intention
(Ogni dipintore dipinge se) of the painter and the viewer. The latter is called
upon to experience what is imperceptible by cultivating the slowness and delay
of their perception, an experience of the threshold as a representation of an
ephemeral temporal in-between.
Today, my work is centered on the question of
the "Threshold" as the place of the act of creation as a gesture
linking the inside and the outside, the inner world of the painter and that of
the viewer. The question of unveiling and that of the enigma are therefore
central. For me, as Leon Batista Alberti put it (1436, De Pictura), the
painting is a window, an opening onto the world, an interior mode too. I argue
that retinal art is not dead, contrary to what Marcel Duchamp stated. As much
as a ready-made, it can be "grey matter". By summoning his discovery
of the "infra-thin", I acknowledge my debt to the history of art and
my influences because a creation operates, literally, in micro variations of
representation. These small "steps of meaning" (“pas de sens” in
French to be understood as both “more
meaning” and “meaningless”) are singular and lie in a narrow space, a threshold
producing differences and repetitions.
My paintings are first and foremost
representations of "visions" and of an inner world that emerges from
my readings, my writings and my reflections, notably around the question of the
unconscious and its effects on the creative process. It is sometimes surprising
to see images emerge from complex thoughts, which they seem to skillfully
simplify and concentrate to the essential. My work as a painter cannot
therefore do without the initial test of words and the language that structures
them. I also greatly care about the manual aspect of painting and the feeling
it provokes, constantly seeking to improve my gesture, like a craftsman would
do. This gives me great satisfaction.